mercredi 11 novembre 2015

Chapitre 9 - #01

Nancy Sinatra ressasse ses principes orthopédiques alors qu'il n'est pas encore 4 heures. Le soleil n'a même pas encore l'idée qu'à un moment donné il faudra se lever quand Solveig ouvre un œil en grommelant pour attraper son portable, posé sur sa table de nuit. Elle décroche sans regarder qui est la personne à l'autre bout.
- Qui que vous soyez, vous avez intérêt à vous montrer aimable sinon, ça va chier !
- Allô ! Vous êtes Mademoiselle Bussy ? » Une voix masculine, ronde mais légèrement aigrelette, inconnue de la jeune femme, fait alors irruption dans sa vie. Solveig est un peu amère mais tente de récupérer le peu de politesse et de jovialité dont elle puisse être capable à cet horaire indu.
- A qui ai-je l'honneur ?
- Heu ! Romu.
- Et je vous connais de... ?
- On s'connait pas.
- Dans ce cas, je suis navrée mais je vais raccrochée...
- ATTENDEZ, MADEMOISELLE ! C'est Tobi qui m'a demandé de vous appeler avec son portable. Faut venir le chercher, Mademoiselle !
- Quoi ?! Comment ça, faut venir chercher Tobi !? Quoi ?!
- On est prêt de Cormontreuil ville, dans le quartier des Argonautes ?
- Qu'est ce que ça peut me faire ? Je ne vais pas aller à Pétahouschnock à quatre heures du matin pour venir chercher mon patron, non ?!
- On n'est pas là où vous dites. Je connais pas ce quartier de Reims. Nous, on est sur le toit de l'immeuble qu'on appelle les Argonautes, j'vous dis. Allez ! À tout de suite, Mademoiselle Bussy...
La gueule en pleine purée de pois, Solveig ne croit pas réellement être réveillée. Elle n'est même pas certaine que l'échange irréaliste qu'elle vient d'avoir avec cet inconnu eut vraiment lieu. Trente secondes lui suffisent pour déterminer que c'était forcément un mauvais tour de sa nuit interrompue par un rêve étrange, certainement. Elle se recouche, bien décidée à terminer sa nuit, en ruminant quelque peu. Du moins, l'espère-t-elle. 
C'est vingt minutes plus tard que la descendance de Mister My Way réitère ses propos cordonniers, provoquant un râle de haine qu'on aurait pu croire incompatible avec la jeune femme.
- Allô !
- Mademoiselle Bussy, ici Monsieur Lempailleur. Nous nous sommes déjà croiser chez Tobi...
- Monsieur Winkler, si ça ne vous dérange pas.
- Tout à fait. Vous avez reçu un premier appel, un peu plus tôt dans la soirée, d'une de nos fréquentations communes, à Tobi et moi. Un certain Romuald." Solveig, frappée et flattée par l'amabilité décidément plaisante de la silhouette chauve, reprend un ton correct, un mélange de respect et de honte dans la voix.
- Oui, en effet. 
- Vous serait-il envisageable de venir nous aider, afin de ramener Tobi jusque chez lui.
- Le problème, c'est que je n'ai pas d'autre véhicule qu'un vélo. Il me paraît compliqué de l'embarquer sur mon porte bagage, vous ne pensez pas. 
- A dire vrai, Mademoiselle. Il nous serai surtout profitable d'avoir un accompagnateur ou une accompagnatrice sobre.
- Sobre ?
- Entendez à jeun.
- Superbe ! J'aurai du réclamer un contrat, finalement. Parce que vous vous êtes montrer incroyablement poli et parce que je suis dorénavant trop réveillée... Laissez moi trente à quarante minutes. Le temps que j'arrive.
- Oh ! Mille mercis, Mademoiselle Bussy.
- N'en jetez plus, je vous en pris. Appelez moi Solveig. J'enfile un jean et une veste et je décolle.
En raccrochant, elle ne croit pas elle-même que ses lèvres aient pu sortir cette ultime phrase sans que celle-ci la fasse sourciller, ne serait-ce qu'un peu. Elle va sortir de chez elle en pleine nuit, en ne sachant même pas où peut se trouver sa lampe de guidon, pour allez chercher ce type si imbuvable. Elle sort une bouteille de téquila de son réfrigérateur pour en avalée une goulée juste avant de claquer la porte de chez elle. Pour le courage d'une part. Pour faire sursauter un vieux voisin acariâtre de l'autre. 
 
Reims, avant même que les lumières du jour ne chauffent les peaux, c'est assez moche ! Surtout quand vous êtes à bicyclette, même de type hollandais et qu'il pèle comme en automne. Certes septembre approche,  mais tout de même.  Puis il y a trop peu de circulation pour que cela soit dangereux. 
Le Boulevard Pommery, comme en journée, n'a rien de bien attrayant avec son mélange de maisons des années 70 postées comme d'épais cèpes suintants un mucus odorant et ses immeubles récemment sortis de terres comme des pieds de pleurotes grises démultipliés. La Place des Droits de l'Homme, même à coup de pédales, même accessible à l'instant où elle passe, lui paraît aussi archaïque que le bordel que doit cacher les branchages parasolaires d'un faux géant comme ceux de Verzy, un bois à vingt minutes de là en voiture. L'Avenue de Champagne, plongée dans un clair obscur aussi dégueulasse que dans les peintures de Rembrandt, a pris des allures de sentiers boueux menant en des bosquets encore plus ombrageux.
Engagée dans une bretelle, elle parvient rue de Louvois, lieu de passage par excellence, un ruisseau qui pue la pisse. Même un jeune marcassin n'irait pas s'y abreuver. Elle prend ensuite la première sortie du rond point pour tomber avenue Christophe Colomb, plein champs sur lesdits Argonautes. Un monolithe. Une fourmilière ou bien une ruche, surmonter d'une sculpture voulant rappeler l’embarcation de l'équipage de Jason mais qui, selon la jeune femme, ressemblai davantage à un fagot prêt à flamber en feu de joie exutoire ou aux cadavres de phasmes kamikazes.
Décidément, c'est maintenant pour elle une certitude, elle déteste la nature, la forêt, toutes ces petites choses qui faisaient d'elle une fillette niaiseuse. Reims la nuit, c'est comme son village d'enfance. C'est comme le regard vers le ciel de sa mère. Cela lui donne des hauts-le-coeur. Arrivée au pied de l'immeuble, elle sent venir comme un renvoi bileux mais ravale le tout. C'est la gerbe des heures trop matinales. Celui qu'on ressent juste avant le premier expresso du jour. Le goût du quotidien en d'autres termes.
(...)

mercredi 4 novembre 2015

Chapitre 8

Tu peux venir, demain après-midi ? Vers 15h ?
10:55
Bonjour, M. Winkler.
10:57
Oui. Bonjour, Solveig.
Demain ?
10:58
La politesse vous ronge, ça fait plaisir à voir.
10:58
La Comtesse de Ségur est de sortie ! Ca fout les jetons ! Alors ?
10:59
Vous avez retrouvé la forme, vous ! C'est un régal de constater que même par d'autres moyens que la communication orale, vous soyez toujours aussi désagréable ! Associable, je dirais même.
11:01
Et toi, tu sembles aussi peu surprenante qu'à l'ordinaire. Tu ne réponds pas directement aux questions et tu prends le temps de taper correctement chaque mot bien que nous échangions par sms.
11:02
Vous aussi, je vous ferai remarqué.
11:02
O ! Mè je C tchaT com lé jEn normo 2 ta Gnérat°, SpS 2 rad(Y) !
11:03
J'ai pas pigé votre dernière expression mais je sens que c'est encore fleuri et printanier.
11:03
Espèce de radasse...
11:04
Charmant !
11:04
Alors ?
11:05
Alors quoi ?
11:10
La vache ! J'ai cru que tu étais parti pour le Nebraska... 5 min pour répondre, quand même !
11:11
J'étais aux commodités !
11:11
Je pensais que les princesses ne faisaient pas caca ?
11:12
Et moi, je croyais que les peupliers n'avaient pas de pousses opposables !
11:13
Dis moi ! Tu sais que tu t'améliores, à ce petit jeu ?! Nos joutes verbales deviennent sacrément savoureuses, je trouve !
11:14
Personnellement, elles me fatiguent mais j'ai fini par comprendre qu'avec vous je n'y couperai pas.
11:15
C'est amusant.
11:16
Quoi ?
11:16
Cette situation me rappelle ma petite enfance. C'est comme si j'entendais mon père me dire que je devais faire attention aux garçons qui voudraient me tirer les couettes parce que cela voudrait certainement signifier qu'ils étaient amoureux de moi.
11:18
Ça risque rien, je te rassure ! C'est de la chicane, c'est tout. C'est vrai que je t'aime bien mais, je te le répète au cas où tu n'aurais toujours capté ce point de détail, JE SUIS PÉDÉ !
11:19
Je ne faisais qu'une remarque.
11:20
Remarque à la con !
11:20
Vous avez fini votre petite crise de nerf puérile ?
11:22
Peux-tu, nom de Dieu de bordel à foutre, venir demain après 15h ? J'ai du boulot pour toi !
11:23
J'y serai. Crade, le travail ?
11:23
Achète-toi des gants MAPA, je te les rembourserai.
11:24
Ok idole !
11:24
Hein ?
11:25
Okidoki ! Je voulais taper Okidoki. Le T9 a corrigé ça de lui-même.
11:26
Vous avez le T9 révélateur, Madame la Comtesse !
:P
11:27
Puis-je me permettre de vous dire que, très cordialement, je vous emmerde, Tobias ?
11:28
Natürlich, Frau Bussy !
11:29

vendredi 16 octobre 2015

Chapitre 7 - #03

(...)
Solveig est soufflée. Tobias prend une longue inspiration à l'embout d'un long tube de caoutchouc, geste qui provoque une glougloutement minéral, puis il recrache un nuage de fumée claire accompagne d'un peu gémissement. Un tel déballage a assommée la jeune femme, d'un coup sec. Ca lui a visiblement procurer un soulagement presque libidinal. Il a raconté ça sans fioriture dans la voix, comme un texte écrit, appris par cœur. Pratiquement pas une once de sentiment dans toute cette histoire. Comme s'il avait un regard objectif sur sa propre vie alors qu'on ne peut s'empêcher de penser que c'est impossible de pouvoir faire ça... Elle se rend compte qu'elle s'agrippe à la couette qu'il y a sous son cul comme on s'accroche au bord d'une falaise. Elle sent un courant d'air qui lui file un frisson dans la nuque. Comme elle se refuse de sortir une larme qui toque aimablement à ses glandes lacrymales, elle se lève en prétextant qu'elle veut finir le tri de son côté. Tobias la suit du regard puis jette son dévolu sur une des photos sur son mur. Il la décroche. C'est celle où il est nu avec un autre homme. Une photo très soft, presque une pub porno chic tout public. Un pub pour Benetton. Il décide d'abandonner son poste de tri pour aller fouiller dans un carton, calé au fond d'un placard. Il en sort une pleine poignée de photos en 10X15. On l'y voit accompagné de l'homme nu... mais vêtu, cette fois-ci... parfois.
De temps à autres, il retourne les images pour y lire les annotations qu'il y a laissé, des années auparavant. Derrière un portrait du compagnon, on lit « Joachim. Un putain de beau mec. Avril 2008. » Il l'observe encore une fois. C'est un homme d'une trentaine d'années. Un type à la peau brune, crâne rasé, buste solide, yeux verts en amande. Tobias effleure les contours des lèvres de l'homme de la photo de sa main gauche. De sa main polymorphe, il se décoiffe comme par gène. Il balance la poignée de photo dans le carton duquel il les avait sorties et tire une bouffée de la chicha. Il va ensuite vers sa kitchenette, attrape le goulot d'une bouteille qui s'avère presque vide. Il la débouche comme il peut et en avale le contenu.
- Un cadavre de plus.
Il va ensuite vers le bureau. Il y trouve une Solveig studieuse et disciplinée, à quatre pattes devant ses piles de papiers. Il lui mettrai bien une fessée, pour de rire. Mais il ne se sent pas d'humeur ni tout à fait habile de sa main valide pour le faire sans qu'il se fasse autant de mal qu'à elle. Il scrute son jeu de fillette modèle, rangeant chaque document avec application.

- On joue à un petit jeu ? » Elle se retourne. « Je t'ai raconté un tas de trucs sur moi. Tu répondrais à une question ?

- Hum... Faut voir.

- Pourquoi tu as les cheveux courts ?

- … Pardon ? C'est ça, votre question ?

- Elle ne convient pas à la Veuve Cliquot ?

- C'est quoi, ce nouveau nom ?

- Tu es blonde et tu as l’œil qui brille. T'es comme un blida de champagne. De champagne éventé mais bon ! On fait avec... ou plutôt sans. Donc, ma question ne te va pas ?

- Ce n'est pas ça. Je m'attendais juste à quelque chose de plus tordu, venant de vous.

- Je te jette pas la pierre. Je peux être du genre vicieux. Alors ? Tes cheveux ?

- C'est plus pratique, c'est tout.

 -Minute ! Minute !... J'y crois pas un instant. Tu penses pas t'en sortir avec une entourloupe comme celle-ci ? T'es le genre de meuf à avoir eu des tifs jusqu'au creux des reins. Genre la fierté de Môman ! Alors, bordel ! Pourquoi ? Qu'est-ce qui fait qu'un matin tu t'es décidée à devenir le sosie de Jean Seberg dans A bout de souffle ?

- Qu'est-ce qui vous dit que ça vient de plus loin ? Qu'est-ce qui vous fait penser que j'ai eu le look de la parfaite poupée Barbie ?

- Non ! Pas Barbie ! Barbie, c'est une teup... La petite sœur de Laura Ingalls, plus. Alors ?

- Pff ! Parce que... » Elle se concentre sur son rangement tout en cherchant à répondre. « Parce que je veux pouvoir tout maîtriser de mon corps, faute de pouvoir diriger le monde autour. Parce que je me sens mieux quand je sais que je n'ai pas l'air d'un teckel, vue de dos. Vous avez déjà remarquer, les femmes aux cheveux longs, quand elles marchent en pleine rue. De dos, les cheveux détachés, ça fait comme deux longues oreilles bringuebalantes. Yeurk ! Je supporte pas de pourvoir ressembler à un Golden Retriever. Puis, parce que quand je suis arrivée à Reims, il était hors de question que je reste ce que j'étais. Et sûrement aussi parce que ça a foutu ma mère un peu de travers. Voilà, ça vous convient ?

- Ouais. Parce que je sens que t'as répondu honnêtement. Je te laisse finir. Je vais aller me branler au chiottes, vite fait, et après je me fais un café. Ça te tente ?

- Quoi ? Le café ou...

- La coupe à la garçonne me plaît mais tu as trop de nibards pour me faire bander. J'ai retrouvé une photo de mon ex. Je m'en contenterai. Alors ?

- Non. Merci. Et vous aussi vous avez tendance à avoir des tics verbaux, je vous ferai remarqué.

- Faut croire que vous avez une mauvaise influence sur moi. Vous déteignez !

Tobias sort du bureau, plein d'autosatisfaction, embarquant le narguilé avec lui et laissant la jeune femme pâlotte mais déterminée à en finir avec sa journée de travail.
Elle partira, deux heures plus tard, papiers triés. Vitres nettoyées. Toilettes javellisées. Nauséeuse et dégoûtée. Souhaitant que le week-end lui apporte un peu d'oxygène.

mardi 13 octobre 2015

Chapitre 7 - #02

(...)
- Qu'est-ce qui te faisait poursuivre ton training, Molchanova ?

- Vous êtes bête ! Désolée ! Je me jette un peu tête baissée dans votre intimité, je ne devrais pas.

- C'est à croire que ma vie est à couper le souffle ! Comment pourrais-je te dire si tu abuses si tu ne me montres pas ce que tu as dans la main ? J'ai pas grand chose à cacher, tu sais. Tout sort de moi. Mon corps m'oblige à tout dire, tout montrer, tout sortir... Avant, je t'avoue, j'étais pas spécialement comme ça. Je camouflais des trucs. Mes parents ne me connaissais pas vraiment. Je mentais à mes amis. Je trichais auprès des types que je draguais en boîte. Depuis quasiment cinq ans, c'est fini. Mon intimité m'appartient plus vraiment. Alors ?

- C'est votre acte de naissance.

- Et ?

- Et... rien, c'est juste touchant.

- Franchement, Solveig ! C'est incroyable ce que tu peux être nunuche, parfois. Lâche prise, un peu, ça te fera du bien. Tu croyais quoi ? Que je n'étais jamais né ? Ou que j'étais un elfe, une créature d'un autre plan, d'une autre dimension. Un être traversant le Multivers ?

- C'est vrai. C'est con. " Elle se mordille les lèvres. Elle laisse un peu sortir la gamine mal décrottée. " Pourquoi vous portez le nom de votre mère ?

- Curieuse." Elle rougit. Il lève les yeux au ciel, retourne dans la chambre, s'assoit comme il peut sur ses matelas un rien trop mous et prend un air de vieux conteur.


- Allez, petite ! Pause ! Viens t’asseoir à coté de moi, pour écouter Père Castor.
Le vieux conteur s'est fait vieux vicieux. Ça le fait marrer. Elle ronchonne.
- Je m'appelle Winkler d'abord parce que mon père refusait de me reconnaître. Ensuite, parce qu'il ne se sont jamais mariés. Par la suite, il a finit par vouloir s'affirmer comme paternel et il a demandé à vivre avec Martina. Martina, c'est ma daronne. Je l'ai toujours appelée par son prénom, du plus loin que je me souvienne. Et mon père, je l'appelle Père. Il déteste. Ça le fait passer pour un vieux con. Ça le fait chier. C'est d'ailleurs pour cette raison que je l'appelle comme ça. Il a toujours voulu trop faire le père. Tellement qu'il n'a jamais été crédible dans ce rôle, pour moi. Alors que ma mère, je l'ai tant aimée que je n'ai toujours pu la nommer autrement que Martina. Vous avez vu cette photo de mariage ? Au dessus de mon lit ? C'est eux. Ce n'était pas leur mariage. Comme je t'ai dit, ils n'ont jamais chercher à s'unir que ce soit légalement ou religieusement. C'était au mariage d'une de ses cousines à elle. Elle avait attrapé le bouquet. Martina Mareike Winkler et François Martial Constantin Ribaud. J'ai failli m'appeler Tobias Ribaud. Ridicule, non ? » À cet instant, Tobias marque une pause. Il se lève péniblement pour attraper l'imposant narguilé qui traînait auparavant dans le salon. Il est fait dans un verre d'un élégant bleu saphir. Puis il fouille dans un tiroir pour en tirer un petit sachet plastique contenant une substance poisseuse ainsi qu'un palet de charbon. Il revient s'installer à sa place initiale, se met à bourré le petit récipient dominant le narguilé de ce qui s'avère être du tabac puis reprend son monologue. « Bref. Ils se sont connus, se sont reconnus, se sont perdus de vue... Comme le raconte Jeanne sur un air de Serge Rezvani. Les conneries habituelles de toute histoire d'amour, en somme. Ils sont restés ensemble jusqu'à ce que je foute leur couple en l'air. Vers mes 16 ans, je leur ai annoncé que je me tapais des mecs et ça a posé un tas de merde. Tel que même Hercule avec ses putains d'écuries d'Augias, c'était de la gnognotte. Elle est repartie dans sa famille, en Allemagne. Elle m'a embarqué avec elle. Mon père est resté ici, à Reims. Donne moi le papier alu qui se trouve derrière toi. Il doit avoir glissé près du mur. » Solveig s’exécute. Sans plus de remerciements, il déroule le rouleau d'aluminium, en déchire un morceau qu'il applique avec soin autour du sommet du narguilé. Enfin, tout en perçant de petits trous à la surface plane de l'aluminium à l'aide d'une brindille qu'il s'est arracher du dos comme on s'arrache un poil récalcitrant, il poursuit : « J'ai passé trois années germaniques comme une parenthèse enchantée. Puis je suis revenu à 19 ans, pour les études parce qu'à l'époque je ne voulais pas suivre le cursus là-haut, ce qui était vraiment stupide de ma part quand on regarde en arrière, mais bon ! Et puis voilà. Diplôme en LEA. Stages à répétitions. Puis jobs. Puis CDD à la mord-moi-l'noeud. Puis coups d'un soir à répétition. Puis Saunas entre hommes. Puis Friedrich. Puis Gunnar. Puis Sébastien. Et finalement Joachim. » Il sort un briquet d'une de ses poche et embrase le palet de charbon maintenu avec une grande dextérité grâce à une pince à sucre coincée dans les banchages de ce qui était autrefois sa main droite. Des étincelles s'en échappe furtivement puis il pose le palet sur la surface qu'il vient de percer... « Martina, sans prévenir, s'est mise à n'être plus qu'un corps sans âme. Du jour au lendemain. Feu Martina. Et un matin comme les autres, je marche sur un bitonio, je ne sais plus quoi. Je me blesse au pied comme tout le monde peut le faire. Et c'est le début de la fin. Ça forme une croûte qui donne une autre croûte qui donne une plaque étrange. Ça fait prendre des rendez-vous chez le dermato. Ça obsède autant que ça se développe. Ça fout une trouille bleue à Joachim. Tant et si bien qu'il finit par se barrer. Ça fait qu'on finit par se tourner vers son père qui vit pas loin. Il refuse toujours de me voir mais comme Martina n'a jamais demandé de pension, il se sent redevable et comme il a hérité d'un appartement de son père, ben il me le donne. En contre partie, il veut pas entendre parler de moi. J'ai alors trente ans, je suis propriétaire d'un appart en centre-ville mais seul avec une saloperie que personne ne connaît. Je finis par abandonner de comprendre quand on me propose des biopsies à répétition. J'ai décrété que j'étais comme ça dorénavant et que je pouvais rien y faire. J'ai pas embrassé un mec, ni quoi que ce soit d'ailleurs depuis près de cinq ans. J'ai un arbre qui me pousse dessus. Je gagne ma vie en traduisant des manuels scolaires et des notices d'utilisations d'électroménager... Parfois des romans, mais c'est plutôt rare. Et puis comme j'ai une voix pas dégueulasse, on m'a pistonné pour arrondir tout ça avec des enregistrements de météos, de pub radio, de voix de GPS... Ma vie sociale est limitée sans que ce soit réellement ma faute parce que je ne me cache de rien. Juste, ma vie sociale est nocturne. Et la botanique et le clubbing sont pas compatibles, à ce que m'en ont dit quelques videurs. Du coup, on traîne avec qui veut... D'autres freaks... Des questions ?
(...)

vendredi 9 octobre 2015

Chapitre 7 - #01

http://www.deezer.com/playlist/1405451955

On est vendredi. Solveig pensait ne jamais en voir le bout, de cette semaine. Elle avait quitté la rue des Trois Raisinets en début de semaine dans la plus grande circonspection. L'aspect extrêmement taciturne de Tobias avait laissé l'étudiante assez déconfite. Elle l'avait connu si volubile jusqu'à présent que le voir soudain refermé et presque secret était un véritable choc.
Par messages courts, ils avaient convenu qu'elle viendrait vers 17 heures. Il assurait qu'il n'y aurait que peu de ménage mais un énorme service qu'elle comprendrait d'elle-même en arrivant.
Il est 16h45, elle est en bas de l'immeuble aux portes et volets vert bouteille et elle ne sait si elle peut se permettre d'arriver en avance ou si elle doit faire le pied de grue façon tapineuse impatiente, attendre le créneau pétant. Arrivé plus tôt, c'était, pour elle, avouer qu'elle avait fait de son mieux pour se libérer de toute obligation, lâcher cette pitoyable vérité qu'elle n'avait fait que souhaiter ce retour pour se confondre en excuse pour elle ne savait pas trop quelle faute, mais qu'importe. La dernière fois, il donnait l'impression de lui en vouloir. Elle voulait connaître le fin mot de l'histoire. Savoir si elle était virée, si elle était nommée personna non grata, si elle était responsable de ses aléas caractériels... Au cent et unième pas écrasant le trottoir du Quartier Saint Symphorien, elle décida de sonner. La porte s'ouvre sans autre commentaire. Elle gravit les escaliers dans une torsion sonore de ses boyaux puis pénètre dans l'antre de la créature soupe-au-lait. Un guéridon avait prit place dans l'entrée, sur lequel la jeune femme trouve un pot de carton où perlent de petites gouttes de condensation, une cuillère à soupe et un carton bristol portant l'inscription : « Vous êtes en avance. Pas moi. Avant de faire du bruit, allez dans la cuisine et manger un peu de cette foutue glace vanille. »
Solveig eut un rictus, soulève le couvercle du pot humide et montre de jolies dents de gosse. Elle ôte un caraco de laine fine, et va prendre un pause d'avant-travail sur un tabouret de la kitchenette, accompagné d'une Haagen Dazs à la fragrance suave.
En quinze minutes, la « gâterie » est consommée de moitié. Faut dire que Solveig a un appétit d'oiseau lorsqu'elle se sent piteuse, du coup, elle s'est certainement un peu lâchée. Tobias pose alors le pied dans la cuisine. Le gauche. Celui qui porte une chaussette blanche griffée d'une marque sportive. Sa voix grave est posée, sage, modérée.
- Salut, Solveig. Elle est comment ?
- La glace ? Succulente. Vous en voulez ?
- Non. Comme tu le vois, l'évier est vide. Je n'ai pas vraiment de linge sale. Peut-être juste l'aspirateur qui crie famine, à raison. Le plus gros, ce sera surtout du tri, si tu ne trouves pas trop chiant.
- Vous me payez pour ça. Je vois pas ce que j'aurai à redire.
- C'est dans la chambre et dans le bureau que ça se passe.

Tobias, d'un geste ample de sa main valide, montre l'étendu de la tâche. Des papiers, des notes, des feuilles volantes, des tickets de caisses et des extraits officiels en pagaille. Il semble aussi navré qu'un garçonnet qui aurait fait sa première bêtise. Solveig ne fait plus mine de rien du tout et ouvre un trou béant de surprise en guise de bouche. Nuque chutant vers ses pieds pour l'un. Premier froncement de la ride du lion pour l'autre. De sa vie.

- Il faut que j'arrive à organiser tout ça. J'ai pas le choix. Il y a là dedans des trucs officiels importants dont j'ai besoins et bien sûr, je retrouve rien sans perdre du temps. Vous allez devoir perdre du temps avec moi.
- On cherche quelque chose en particulier ?
- Triez déjà tout ce qui francophone et ce qui est en allemand. Les trucs de boches iront dans mon bureau, les fromages qui puent dans la chambre.
- Mais je ne comprends rien à l'allemand, moi.
- Vous avez pas besoin de comprendre, juste de reconnaître. C'est une langue bizarre, c'est en allemand. C'est une langue très bizarre, c'est du français. Ok ?
- Hum... On va faire au mieux.

Il va dans la chambre. Elle prend donc le bureau.
Sans hésitation, elle réunit tous les papiers en une informe masse unique à même le sol et s'installe en tailleur, juste devant. Elle fait deux piles, au carré. Pour un grand nombre de feuilles, il s'agit de factures en vrac. Toutes amputées d'un bordereau. Certains des documents, en allemand, ressemblent à des devis manuscrits. Ils sont signés « Winkler ». Elle découvre ainsi l'écriture de son patron. Plutôt élégante pour un gaucher. D'autres, portant la même forme graphique, sont issus d'un cahier à spiral, des pages déchirées de leur base, avec une grande quantité d'annotations sans liens probants entre elles, rédigées en un mélange bilingue étourdissant. Elle crée une troisième pile.
Des attestations professionnelles par-ci. Des contrats de mission par là. Des dessins d'enfants, rares mais bien présents. Des tickets SNCF et D-Bahn oblitérés. Des notes de magasins de fringues avec des numéros de téléphone, tous différents. Une ou deux listes de courses, perdues dans tant de sérieux et de frivolités mêlés. Et puis un extrait d'acte de naissance. Éblouissant de normalité. Tobias est donc bien un rémois pur pinot noir, pinot meunier et chardonnais. Cuvée 1979. Né d'un père français et d'une mère venant de Basse-Saxe. Il a le nom de famille de sa mère. Solveig s'attarde. C'est étrange mais ça ne colle pas avec ce qu'elle avait en tête pour cet homme. Qu'il puisse venir réellement de l'union de deux humains normaux. Deux européens, de surcroît.

- Une bière ?
- Heu ! Pourquoi pas ?
- Je mets de la musique, si ça ne te dérange pas. » La jeune femme est étonnée par ce nouvel élan de sollicitude.
- Allez y.

Une musique aussi étrange que la dernière fois sort des baffles du bureau, comme par magie. Il lui tend une bouteille d'un demi-litre. Elle le remercie de la tête et du coin des lèvres, en play back. Il lui sourit.
(...)

mardi 6 octobre 2015

Chapitre 6 - #02


(...)
Insidieusement, il avait réimposé le vouvoiement à l'étudiante alors que lui donnait du "tu" à qui mieux-mieux. Il pensa que c'était peut-être bien ainsi, finalement. Elle songea qu'elle n'aurait jamais du proposer cette familiarité déplacée. Surtout si vite. D'autant plus si tôt. Elle empoigne un balais caché dans un coin de la kitchenette, entre le réfrigérateur et un placard sans porte. Appelle-t-on cela une étagère, d'ailleurs ou considère-t-on tout de même que ce fut un placard puisqu'on y voit encore les gonds ? Est-ce que sortir de ses gonds rend moins humain ? Est-ce qu'un humain peut se montrer avec un coeur de granit lorsqu'il a un arbre qui lui pousse dessus ? Cette réflexion à la Marabout - Bout-de-ficelle, Solveig se la garde pour elle. Entre eux deux, ils reprennent la relation dés la case départ toutes les trois minutes de rencontres, depuis le premier jour. Ça en deviendra vite lassant. Il est préférable de camper sur ces états de fait, au moins pour un moment. Il lui dit "tu", elle le vouvoie ; elle se réserve, il est goujat.  Le dossier est ainsi mit de côté pour plus tard. Elle balaie le sol.


Carrelages miroitants, parquets nettoyés, la seule pièce où l'envahisseur légal empêche l'éclaircissement de la situation, c'est le bureau. Même la chambre, elle a pris soin d'y faire un minimum de rangement afin que quiconque puisse y poser un pied devant l'autre, mais le bureau, rien. Impossible. La porte en est fermée. C'est, du reste, le seul endroit de cet appartement qui en soit doté, d'une porte. La jeune femme reste scotchée devant comme une énième épouse de Barbe-bleue devant la chambre secrète de son concubin. Elle tend l'oreille pour tenter de capturer une bribe de son... La peau de sa joue droite en frôle le bois peint pour saisir un rien, prendre au piège un mot, une syllabe. Et hormis quelques voyelles un tantinet sonores, les paroles du sujet d'étude restent incompréhensibles. Elle soupire. On entrouvre alors un interstice. On visualise un morceau de lèvres et un bout de mâchoire scintillante.
- La procrastination est inutile pour faire ce pour quoi je te paie. Action, j'ai dit !
Elle se tourne vers la vaisselle, penaude et sans entrain.
Deux heures et demies se sont écoulées quand elle parvient au terme de ses tâches. Solveig se replace devant la chambre mystérieuse, index plié prêt à toquer, quand la voix grave et claire de Tobias retentit.
- Tu es d'une efficacité redoutable, Solveig. J'ai laissé ton avance chez la voisine. Passe la lui demandé et donne lui le bonjour. On se dit vendredi après-midi, quand tu peux ?
Elle remballe son index. Elle marque une moue.
- Okidoki !
On entend soudain un grand facas, des crayons qui tombes au sol, du polycopié volant et le bureau s'ouvre avec force, en faisant surgir un animal rouge plein de corne, les yeux bouillannants mais le sourire au lèvres.
- Solveig, tu es une putain de chieuse avec ton « Okidoki » de mes deux. On ne sait pas sur quel pied danser avec toi. Parfois, tu te la joues sœur Brontë, puis d'un coup tu te fais disciple de Hello Kitty. C'est totalement incohérent et parfaitement insupportable. Est-ce qu'il te serait possible, si ce n'est pas trop de te demander, bien entendu, de répondre autrement que comme une petite japonaise sainte nitouche, à l'avenir ? » Elle répond « oui » de la tête. « N'oublie pas de passer chez Mado. Et prend le pot de glace dans le congélo avec toi. Je l'avais acheté pour toi, l'autre jour. Je bouffe pas ce genre de cochonnerie. » Elle réitère son geste.
Et récupère son gilet, sa pochette, les morceaux de son orgueil d'enfant qui traînaient là, l'air de rien et puis elle sort sans claquer la porte, sur la pointe des pieds, ignorant complètement l'offre « rafraîchissante » de son inquiétant employeur.
Elle frappe chez la fameuse Mado. Un petit bout de femme, tout en chignon gris bien serré, en rides aux coins des yeux et en tablier bleu à petits pois blancs lui apparaît. Elle fait signe à Solveig de patienter, s'absente une longue minute puis revient, une enveloppe en papier cigarette dans les tons crèmes tenue des deux mains, par les coins inférieurs.
- Vous êtes la Bussy, n'est-ce pas ? » Effarement complet de Solveig quant à cette dénomination d'un autre âge.
- Hum ! Faut croire.
- Tenez, votre avance.
- Comment se fait-il que ce soit vous qui me donniez mon argent et non pas Monsieur Winkler lui-même, Madameeeeuuuh... Madame ?
- Appelez-moi Mado. Ou Madeleine, comme vous voulez ! Tobi est incapable de gérer son argent. C'est lui qui le dit. Du coup, il m'a demandé de gérer ce genre d'affaire pour lui. J'ai une procuration pour ça ! Voilà tout. C'est un amour, ce garçon, vous ne trouvez pas ?
- C'est mon patron, vous savez. Je n'ai pas à avoir ce genre de considération.
- Oh ! Mais je sais bien. Vous venez l'aider, je sais tout ça. Le pauvre, avec sa maladie. Avec sa jambe et son bras, l'a bien besoin d'aide, pensez donc. Il m'avait demandé mais je suis bien trop vieille. C'est bien qu'une jeune fille comme vous fassiez ce genre de travail. » Celle-ci rétorque un sourire faux des plus charmants puis fait un hochement de tête pour dire au revoir.
- Il vous donne le bonjour, au fait.
- Comme c'est gentil. Vous partez ?
- Oui, Madame... Madeleine.
- Pardonnez moi, je ne l'avais pas compris. Je suis un peu miro. Passez une bonne journée. A la prochaine fois.
Puis la vieille dame, les yeux accrochés au mur auquel Solveig tourne le dos, ferme sa porte dans un mouvement fantomatique. La blondinette a la désagréable sensation d'avoir rêvé quand elle descend finalement les quatre-vingt marches vers la sortie de l'immeuble.
Dans la rue, elle crois voir la silhouette filiforme de son arrivée. Vite, le regard de Salam croise les yeux de Solveig. Il lui fait une révérence de loin. Elle lui sourit avec une once d'inquiétude dans l'enjambée.

vendredi 2 octobre 2015

Chapitre 6 - #01




Solveig frappe à la porte. La porte du hall lui a été tenue entrebâillée par un voisin peu regardant sur la sécurité. A sa grande surprise, la porte de Tobias s'ouvre en grand d'un coup sur une drôle de silhouette longiligne. Un sourire jaune pâle partiellement édenté mais tout à fait charmant l'accueille avec des yeux plein d'une douceur presque palpable. Autour du sourire, elle perçoit rapidement un crâne bien lisse et une longue barbe rousse frisotée maintenue en l'air par un long pardessus de cuir alezan. Une voix masculine aux douceurs de mère courage s'extirpe soudain des dents éclatées :
- Vous devez être Solveig ! Entrez, Mademoiselle. J'allais partir.
- Heu ! Ne vous dérangez pas pour moi... Tobias est ici ?
- Bien entendu. Il vous attendait.
- Impossible qu'il m'attende déjà, j'ai vingt bonnes minutes d'avance.
- Et pourtant...
La silhouette filiforme nageant dans des vêtements trop amples fait place pour laisser la jeune femme entrer. Elle s'exécute. Elle tend la main à la silhouette, celle-ci lui empoigne délicatement le bout des doigts et approche le doigt de sa main en direction des lèvres rosâtres de ce semblait réellement être un homme bizarre mais le geste s'interrompt à deux centimètres de tout contact.
- Enchanté, Mademoiselle Bussy. C'est un ravissement !
- ECOUTEZ-LE, FAIRE LE GALANT !" retentit la voix du maître des lieux.
- J'ignorais que mon employeur eut quelque connaissance mieux élevée que lui-même.
- ET LA GODICHE QUI SE LA JOUE GRANDE DUCHESSE !" Solveig s'abstient de réagir à cette pique patronale et s'intéresse à son nouvel interlocuteur.
- Vous êtes ?
-  Sur le point de partir...
- Mais encore ?
- Un ami de ce cher Tobi.
- ATTENTION, SOLVEIG ! Y A QUE MADO ET LUI QUI ONT LE DROIT DE M'APPELER DE LA SORTE ! NE VOUS Y METTEZ PAS ! C'EST UN ORDRE !
- Okidoki..." Tobias grogne au loin. " Il est toujours comme ça ?
- Comment cela ?
- Il a toujours eu ce caractère... euh ! Déplorable ?
- Tobi est une nature, mais c'est un homme en or... Je vous souhaite une bonne journée.
- Vous ne m'avez toujours pas donné votre nom...
- IL S'APPELLE SALAM LEMPAILLEUR ET IL VA ÊTRE EN RETARD POUR FAIRE VALIDER SA CONDITIONNELLE S'IL N'ARRÊTE PAS RAPIDEMENT DE FAIRE LE JOLI COEUR !" Tonitrue encore une fois Tobias. Salam répond à cette injonction par un sourire aimable envers la jeune bonne, sort un borsalino blanc de nulle part, se l'enfonce sur la tête puis disparaît. La tête du locataire sort enfin du bureau pour saluer la jeune femme.
- J'espère qu'il ne t'a pas trop foutu la trouille.
- Pas du tout. Bien au contraire. C'est qui ?
- Un pote. Il est fouilleur.
- Dans les sites archéologiques, vous voulez dire ?
- Non ! Dans les poubelles. Il fait toutes les poubelles des grands magasins, récupères des tas de trucs, les embellis, les modifie avec un talent fou puis les revend pour une bouchée de pain. Ce mec, c'est un orfèvre de la débrouille. Il appelle ça la décroissance... Enfin il se qualifie comme décroissant, je crois...
- OK ! Et tu traînes avec des "décroissants" souvent ?
- Je vois pas en quoi ça te regarde mais, non. Juste avec Salam. On a le même goût de la nuit et de la vie et de la boisson. Et puis j'aime bien les gens qui ont de la conversation. Lui, c'est un sacré causeur. Un puits de savoir." Solveig en a un haussement de sourcils.
- C'est la première fois que je te vois montrer de l'admiration pour quelqu'un d'autre que toi.
- D'abord, on ne se connait pas depuis assez longtemps pour que vous vous permettiez cette remarque, Miss Je-prends-les-gens-de-haut-en-croyant-tout-connaître-de-la-life. Puis sache qu'il n'y a rien de plus faux. Je suis sans doute la personne que je déteste le plus. Quoi que. Depuis notre rencontre...
- Sympa." Tobias lui tire un bout de langue espiègle.
- Tu as trois heures à m'accorder, c'est ça ?
- Ouaip !
- Alors, l'aspi, les sols sont à lessiver... La vaisselle ! Mon Dieu, oui ! La vaisselle. Et s'il te reste du temps, tu pourrais jeter un oeil à la baignoire pour la récurer. Si tu peux pas, ça attendra la prochaine fois.
- Bien, maître.
- Et avec le sourire, si c'est pas trop demandé." Elle force une grimace doucereuse. Elle ôte un gilet de laine fine gris souris, dévoilant ainsi un t-shirt d'un autre âge. Elle pose aussi son sac à main, sorte de pochette noire à longue lanière. Puis elle se met à la tâche en branchant l'aspirateur, un appareil de marque allemande. Le genre de truc réputé pour être increvable. La Rolls Royce de l'électroménager. Elle entend d'ici les élans de pâmoison de sa mère chérie. Elle se revoit petite, levant les yeux au ciel, ne comprenant pas comment l'on pouvait déborder d'une adoration sans faille pour cet animal de plastique et de métal, bruyant comme le pire des monstres et détritivore par dessus le marché. A peine eut elle entamer son premier devoir que Solveig vit Tobias fondre sur elle, furibond, la bouscule puis débranche l'appareil. Il respire avec force et disgrâce puis d'un ton autoritaire :
- L'une des seules règles que je vous demande de respecter et dont je vous ai parler dés notre première rencontre, c'est... ?
- La ponctualité ?
- Non ! " Rit-il jaune. " Ça, je m'en contre-cogne. Le silence ! Je veux qu'on me laisse en paix.
- Okidoki...
- Rrrr !
- Alors comment je fais pour nettoyer le sol ? C'est vous qui m'avez demander...
- Oui. Je sais que c'est moi. J'ai dis une connerie. Passes le balais plutôt.
- Okido... Euh ! D'accord... Monsieur.
- Allez ! Action !
Puis il retourna, le pas décidé, vers son bureau.
(...)